Le
mot "Vanité" a un double sens. Il désigne aussi bien le tableau, que
l’idée que tout est illusoire, insignifiant, futile, vide.
Une
vanité est une représentation allégorique de la mort, du passage
du temps, de la vacuité des passions et activités humaines.
Le
thème est très ancien, présent chez les antiques grecs, il se
constitue en genre pictural autonome en Flandres et en France. Prisé
à l’époque baroque, les vanités vont disparaître au XVIIIe
siècle puis renaître avec Cézanne et plusieurs peintres du XXe.
Les objets représentés symbolisent l’aspect dérisoire des
activités humaines. Le temps qui passe trop vite, la fragilité, la
destruction, le triomphe de la mort avec comme objet symbole un crâne
humain, mais ce peut être un sablier, une fleur coupée, une femme
tenant une faux.
Premier
travail d’une série de Vanités «Caput mortuum» sur
carton avec inclusion de graines de boulgour dans le gesso pour
donner de la matière. Le Caput mortuum est un pigment ocre
artificiel de couleur brun violacé obtenu par calcination du sulfate
de fer.
C'est
Jean Valette qui raconte :
«Il
y a longtemps en Bretagne, j’avais été impressionné par les
boîtes à chef, petites constructions artisanales de bois posées
sur des étagères, dans un coin sombre d’église de sombre granit,
logeant le crâne d’un défunt que l’on aperçoit au travers de
la découpe en forme de cœur de ces petites maisons alignées. Un
nom des dates et l’œil vide d’un crâne blanc qui vous regarde.»
Les
petits cimetières bretons ne pouvaient accueillir qu'un petit nombre
de caveaux. Au bout de cinq ans, on exhumait les trépassés pour
verser à l'ossuaire les ossements inférieurs. Les crânes ou chefs
sont mis à part et conservés dans de petites chasses en bois blanc
comme à Saint Pol de Léon, St Fiacre.
La
Vanité nous parle de transition, de passage, de transformation,
d’aller à l’essence, à l’os. Rencontrer le dur, la forme
essentielle, la forme originelle du corps humain. Mourir, Passer
d’une forme au sans forme, comme la forme liquide passe à l’état
gazeux, sans pour autant cesser d’exister. Un émiettement du
corps, un émiettement de l’âme? Les os, le crâne ont la vie dure
et peuvent durer. Pendant cinquante mille ans le carbone quatorze
reste dans les os et le crâne peut être daté. Drôle d'idée de
parler de vanité? le chef, le crâne passera infiniment plus de
temps à être mort qu’à être vivant. Dans les rites funéraires
anciens, le squelette après une ou plusieurs années est déterrée,
nettoyé. Nettoyer les os des ancêtres, leur rendre hommage,
reconnaissance, affection. Honorer par le geste, la prière, la
pensée, purifier la lignée.
Le
crâne comme objet d’art.
Nouvelle
Vanité de la série «Boîte à chef» carton huile 28x37 cm à
accrocher dans un coin sombre. Le crâne couleur caput mortuum
apparaît à peine sur le fond.
Peindre
pour exorciser? Clin d’œil d'une orbite vide. La tête de mort
fait peur ou fait sourire. Tonalité sombre de la toile et fort
contraste rouge. L'ombre et les dents qui se détachent. Dans la
toile de Jean, la couleur intensément ivoire lumineux d'une mâchoire
d'outre-tombe en dehors de la tombe, un appel, un rappel, de peurs
vécues dans l'enfance et que l'on peut exorciser par la peinture.
Rêves, Réminiscence, provocation ou invitation au questionnement
métaphysique.
Epicure
vers 300 av JC affirme que la mort n'est rien pour nous. Il est
absurde de redouter ce que l'on ne rencontre jamais. Soit je suis
mort et je ne fais pas l'expérience de la mort, soit je suis vivant
et je ne fais pas l'expérience de la mort. Je ne suis mort que pour
les autres vivants.
Y
a-t-il une perception, une forme de sensibilité après la mort ? La
survie de mon être pensant ? La croyance à une âme libérée du
corps est une croyance universellement répandue et au cœur des
religions. La survie de mon «moi pensant» ! Et si dans la mort je ne
perds que le corps, cela me donne une responsabilité et m'invite à
une éthique de vie et la souffrance vient de l'attachement que l'âme
a conçu à l'égard du corps.
Méditation
sur l’après vie, la vanité des choses, éveiller l’émotion, la
mélancolie, la certitude et l’impossibilité de perdre la vie.
Qu’est ce qui s’en va quand la vie s’en va ? Et si dans la mort
on ne perdait que le corps, la matière abandonnée à elle-même,
dissociation, séparation. La vie, conscience, énergie vitale,
visible et invisible, âme. La vanité de la matière, est-elle si
vaine que cela ? C’est la matrice. Naître reprendre matrice.
Connaissez-vous le moyenâgeux " Dit des trois morts et des trois vifs" : Trois jeunes seigneurs, beaux, richement vêtus et pleins de morgue rencontrent au cours d'une partie de chasse trois "transis" qui les admonestent ainsi :
Si
la vie est vanité, la mort passage obligé. Pour qui est venu à
l’existence, la mort est certaine. Naître a son corollaire mourir.
L’inverse est-il vrai. Pour qui est mort, la nouvelle naissance
est-elle inéluctable jusqu’à ce que la conscience soit
suffisamment éclairée pour pouvoir choisir, de revenir ou d’accéder
à la délivrance. L'état humain pour expérimenter la liberté.
L’état divin n’étant pas un état libre. Le choix plus ou moins
éclairé est l’apanage de l’humaine condition. Seul l’humain a
le choix, l’animal est mu par ses instincts, et la peur le
conditionne.
La première "Danse macabre" parcourait dans sa farandole épouvantable le pourtour du cimetière des Saints-Innocents à Paris, où, entre les fosses communes, des prêcheurs de l'apocalypse, des recluses à vie, des écrivains publics et le soir des "pécheresses" vivaient dans une odeur méphitique...
Près de chez nous la danse macabre de La Chaise-Dieu.
Les dernières images en ombre du "Septième sceau d'Igmar Bergman.
Rendre
l’âme. Mourir dans son sommeil est-il la plus merveilleuse des
morts ?? ou un comble d’ignorance, un long sommeil d’oubli, un
rêve dont on ne se réveille pas. Qui meurt ? Qui a conscience d’être
mort, le «je» serait-il seulement lié au souffle, un moi à
éclipse inspiration-expiration et un entre deux d’éveil ou
d’ignorance, dont on ne peut rien dire.
Faire
table rase pour avoir la place de recommencer à jouer la vie avec de
nouveaux pions. La vie demande ou exige de faire table rase. Une
civilisation apparaît, se démesure et plus elle atteint la
démesure, plus elle s’efface. Si la création a pris sept Jours,
le septième, il faut faire table rase et tout recommencer. Nous
sommes établis sur des restes. Hommage à l’imprévisible créateur
des sauvageries du monde.
"Qui aime la mort aime la vie" (François Mitterrand).
Alors aimons la vie et remercions pour la chance d’être né
humain, le seul état qui offre la délivrance des états
conditionnés d’existence.
Texte : Marie-Pierre BAYLE
Peintures : Jean VALETTE