Une grande première au théâtre de
mon atelier :
Cinq oignons en tenue de soirée
partent en goguette sur une table carrée.
Quatre bulbes en costume violet-pourpre
cardinalice s'échappent du chaudron.
Délicatement échevelés, fine
collerette blanche pour mieux frimer.
Un jaune à droite a craqué sa
redingote.
Peindre, enluminer les choses, je les
aime brillantes, vernissées, exaltées dans leur fragilité.
Le flux du temps s'est emprisonné dans
mes toiles.
J'aime la solide densité d'un vase
antique, il me plaît de la restituer, lui donner sa brillance, son
éclat, l'enjoliver. Capter l'essence d'une fleur ou d'un citron,
l'esprit d'un oignon.
Qui le connaîtra jamais, le peintre ou
le cuisinier qui a tant pleuré.
Un bonheur attentif et silencieux
s'exhale.
Sur une plate bande verdie de lentilles
d'eau, une barque passée sur l'autre rive,
Elle s'emplit vers le soir, flottant
dans la lenteur vers quelque port lointain.
Tout en rose la rêverie du couchant et
le sourire arrêté du soleil.
Le vent se lève il faut tenter de
vivre dit Paul Valéry dans son «Cimetière marin»
Et j'ajoute en désordre: Grande mer de
délires, têtes inhabitées,
Les cris aigus des filles chatouillées.
Tout va sous terre, et le Jeu recommence.
Une nébuleuse de souvenirs anciens,
les bouquets de Tante Marie.
Des fleurs mousseuses, pulpeuses,
enivrantes, exaltées dans leur fragilité.
Des fleurs apprivoisées, empotées,
pétales tombés, roses éclatées.
L'effeuillement mélancolique d'une
fête galante.
Avez-vous une Tante Marie dans votre
souvenir ou une Tatie Danielle pour mettre du piquant dans la
monotonie des jours ?
Et la poire s'est rapprochée du vase
pour aller contempler son reflet jusqu'à en être déformée.
Deux pétales tombés. Vanités.
La mer en peignant fait trop de bruit,
c'est insupportable dans mon atelier.
Trop de bruit, trop de bleu. Il faut
que je m'éloigne, je retourne en cuisine.
Le troupeau des cailloux, des rochers
ramenés sur la plage.
Le bleu n'est jamais une couleur comme
les autres, elle s'apparente à l'ombre, au noir.
Mon œil va se réfugier dans les
rochers ambre chocolatée, soleil de fin de soirée.
Pas d'embarcation, pas
d'échappatoire,tourner en rond avec les vagues qui vous ramènent
sur les rochers, Bretagne, Normandie, Côte atlantique.
Peindre, s'attarder dans le voyage seul
entouré de soi-même.
Encore une histoire d'oignons.
«Quoiqu'on fasse, c'est toujours le
portrait de l'artiste par lui-même que l'on réalise» écrit Jean Giono.
Il me revient en tête le fameux koan
Zen:
Quel est mon visage avant la naissance de mes parents.
Silence, rêve,
repos de la pensée.
Mais
revenons à nos oignons à la cuisine ou bien à l'atelier.
Il est bon de s'en occuper.
L'oignon
n'est pas un légume ordinaire.Tout rond, tout doré comme une terre
asséchée, aplatie aux deux pôles, un empilement de lamelles toutes
identiques, une surimposition de couches serrées autour d'un vide
central qui n'existe pas.
Plein de lui-même. Il se conserve bien, au
sec toute l'année, un bon légume goûteux et sucré qui met en
valeur tous les autres et avec les carottes, il renforce leur saveur
sucrée.
Les oignons se défendent comme ils peuvent et s'ils nous
font pleurer c'est pour laver nos âmes asséchées. Il est conseillé
d'avoir toujours quelques oignons pour assainir nos maisons.
Le «je» utilisé dans le texte est
bien sûr un personnage fictif pour les besoins de l'écriture.
Pastels secs :
Jean-Paul CORTIAL
Texte : Marie-Pierre BAYLE
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