vendredi 6 novembre 2015

LES TUPINS AU COUVENT

L'Association des Tupins a pour but, entre autres, selon ses statuts de 1982, de "découvrir de nouvelles techniques de développement de l'Art". 


C'est une des raisons qui nous a poussé à aller voir l'exposition Anish Kapoor au couvent de La Tourette, conçu, à la demande du  Père Couturier, par Le Corbusier et son équipe (Wogenski, Xenakis...) pour des moines dominicains entre 1953 et 1960.
 Le Corbusier a choisi une pente de terrain qui domine la vallée. Il a pris l'horizontalité au sommet du bâtiment et retrouvé le sol d'appui à l'aide de pilotis .

 Le magnifique parc déploie tout autour les fastes de l'automne.

Anish Kapoor a développé deux thèmatiques. Les miroirs d'aluminium transformant les angles droits et les rigoureuses mesures du Modulor en visions baroques.
Dans le réfectoire des moines. Remarquez, à droite, les "pans de verre ondulatoires" dessinés par Xenakis comme des partitions musicales.

Le principe "poteaux-poutres"  remplacent les murs porteurs et permet les grands vitrages qui ouvrent sur la vallée.

Dans l'atrium l'artiste indien plaçait son "Non-object (door)"


Dans l'angle du "petit conduit" (couloir) son "Gold Corner"
dont l'aspect précieux contraste avec le "brutalisme" du béton.

Dans l'église est posée "Spire 4" qui reflète les subtiles lumières de l'architecture.

Et, au sol,  près des pilotis "Sky mirror"qui réfléchit le ciel côté concave,
 et la terre côté convexe.

La deuxième thématique est le "memento mori" (souviens-toi que tu dois mourir) ou la "vanité";
parfaitement traduite par de titre "Disrobe" (se dévêtir) dans la salle du chapitre.
Terrifiante image du corps et de sa matérialité corruptible.
 Les références au "Boeuf écorché" de Rembrandt ou de Soutine, le rétable d'Issenheim viennent à l'esprit.

Dans la même salle une sculpture  en cire de ce rouge sombre et tragique.
Comme le père Couturier avait imposé en son temps un architecte moderniste, le frère Marc, responsable des expositions, est fier de présenter des œuvres  contemporaines dérangeantes. 

Dans des salles de cours, deux sculptures "Keriah IV" et "Keriah V" profitent des somptueux jeux de lumière des pans ondulatoires.

Dans la salle Tito de Alencar (Dominicain martyrisé au Brésil), "V shadow" "Moon Shadow"

Et terminons dans la salle Couturier par une œuvre inspirée,  "Colonne sans fin" faite de pigment d'un rouge tout différent du rouge sanguinolent, d'un rouge transcendant.


Marie-Pierre Bayle nous envoie ce passionnant commentaire de sa visite reproduit in extenso :

"Anish Kapoor est né en Inde, et j’ai trouvé intéressant de noter les références philosophiques et culturelles occidentales et orientales qui sont présentes dans les oeuvres exposées.

qq réflexions : on peut penser au mythe de la caverne de Platon: le jeu de miroirs des apparences.
Ce qui est nommé MAYA, l'Illusion dans la tradition philo indienne: le jeu illusionné du mental.
Réalité ou non réalité des choses, des êtres, des évènements. Tout est fabriqué et tout est fabrication. La vision ordinaire  prend pour réel ce qui est image et reflet....L’œuvre miroir en elle-même disparaît au profit de l’image déformée qui fascine le spectateur. 
QQ références au passage à la tradition indienne

En Inde, la trilogie indienne : Brahma, Vishnou, Shiva : Création, Préservation, Transformation. 
Brahma a mis en branle la création au début des temps et ensuite on a oublié de le célébrer. Très peu de temples sont dédiés à Brahma en Inde. Vishnou par contre est très présent dans l’Hindouisme et Shiva est plus particulièrement le protecteur des yogis et du Yoga.  
En référence au Jeu des miroirs  Shiva est la conscience immobile, inerte, non agissante dans le monde matériel celui des apparences. Il pourrait symboliser le miroir. Shiva est indissociable de Shakti, son énergie, c’est elle qui agit, qui transforme, qui détruit pour créer une autre forme.     
Toute l'expo semble conçue pour montrer comment on passe du monde des apparences au mystère de la Transformation: la chair étripée et la colonne de feu..
On commence par une oeuvre discrète en angle en haut et à gauche d'un couloir.
L’énergie de la création se met en route. Un petit miroir de lumière reflète le couloir et agrandit le passage. Elle va se transformer en grande structure carrée faite de miroirs concaves reflétant tout ce qui passe dans la grande salle suivante.....

Dans la chapelle le pied du grand cône effilé reflète la lumière de la lucarne du plafond. Paradoxe : Cette grande flèche conduit vers le haut mais la lumière est en bas.
Les sculptures en silicone rouge marron couleur chair éventrée. 
Passage de l’illusion-miroir à la réalité viscérale de la vie organique. « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » des textes de la communion chrétienne.
La colonne rouge, en pigments rouges selon la tradition indienne des yantras, les figures propitiatoires en poudres colorées que les femmes réalisent à l’extérieur.
Cette colonne pourrait évoquer le mythe légendaire de Shiva qui se transforme en colonne de feu sans commencement et sans fin pour montrer sa suprématie sur les autres dieux.
 Anish Kapoor a en effet suggéré cette non limite en faisant déborder cette poudre rouge sur le sol et le plafond autour de la colonne.

Sculptures en cire marron-rouge.
Plateaux recouverts de cire marron foncée. La cire est malléable comme la vie, elle peut être modelée et prendre la forme de l’outil-palette qui la travaille. Elle déborde parfois du support et s’étale sur le mur.
Alchimie de la vie.
La transformation-destruction permanente est à l’œuvre. La création n’a pas de fin.
Rien ne meurt. Tout se transforme. Dans cette exposition d’Anish Kapoor on passe de la lumière-illusion des miroirs éthérés à la descente dans la  matière dense, viscérale, douloureuse ? Une incarnation !"    









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire