lundi 5 septembre 2016

LES FUGUES À MULTIPLE VOIX DE SILENCE

L’envers du décor 

Lorsque le tableau est sorti de son emballage, le dos de la toile est apparu d’abord, à  l’Envers. Contrairement à mon habitude, en écoutant  Jean, je me suis attardée.  

L’Envers du décor : - le support de l’expérience picturale – la face cachée de l’ouvrage

D’abord le châssis, haut de gamme, estampillé du cachet d’un antiquaire parisien.
Toute une histoire, un voyage dans le passé, la trace d’un ancien savoir faire. 


Ce châssis a déjà porté une autre toile, ouvrage d’un artiste amateur,  resté sans doute anonyme ! …et que Jean a gardé dans son grenier.


Acheté dans une brocante  renommée, par un acheteur grand amateur exigeant et expérimenté, un fouineur de brocante, un habitué, à l’œil exercé.
Si le châssis est le squelette, le corps caché de l’expérience, la toile qui recouvre le châssis en  est le corps apparent. En lin, ancien, une toile prisée venue des Flandres, achetée en rouleau, grande largeur à des marchands réputés. Le lin, une valeur sûre, utilisé dans les temps anciens par les anciens égyptiens. Fabriquer soi-même sa toile, y mettre de son temps et de son savoir- faire,  signe l’artiste exigeant la qualité. 


Jean  a découpé à la dimension du châssis un morceau de cette toile où il mettra ses couleurs et sa signature.


A l’endroit : La peinture.
Avant de découvrir la toile peinte, il est bon d’entendre à nouveau son titre!
Ecoutez bien.  Il sonne poétique comme un haïku, un court poème japonais.  
  
« Dernier paysage d’automne avant l’hiver » 

De la nature du rêve, la peinture  raconte le miroitement sans cesse changeant de la lumière à travers les feuillages et les eaux de la Loire. Un automne lumineux, une symphonie en jaune et bleu.  Mon regard est accaparé par la candeur souveraine du bleu d’azur liquide fait de mille nuances qui se modulent sans cesse au fil des heures ! 

                    Acrylique, Jean Valette, novembre 2015.
Les bords de Loire à Saint Rambert. Le fleuve, large de quelques soixante dix mètres a déjà traversé le barrage de Grangent et  parcouru 150km depuis sa source. Autrefois les rambertes circulaient sur le fleuve. Les barques faites de longues planches de sapin d’une vallée au-dessus de Montbrison pouvaient contenir jusqu’à 25 ou 30 tonnes de houille. De véritables trains de bateaux descendaient le fleuve au début du siècle dernier. Il est maintenant restitué aux pêcheurs de sandre et aux promeneurs.

C’est le matin dans les rayons du levant que la toile éclate de tous ses feux. Elle a la fraîcheur d’un début du monde, un premier matin de lumière et d’eau, une innocence baptismale. Elle est alors une longue soie chatoyante parcourue d’ondoiements liquides. Des doigts de lumière et d’ombre,  translucides, vont fouiller le fleuve  et faire doucement frémir sa surface. 

Effacement et incandescence

Tendez l’oreille, écoutez les fugues à multiples voix de silence qui montent des profondeurs et louvoient sur la rive. Une mélodie amoureuse entre l’espace, l’eau et le  feu. Sous l’étreinte, la terre s’empourpre. Une transpiration, une vapeur de brume et de lumière monte du fleuve dans son effort pour soumettre la terre, user les pierres de la rive sous ses caresses.
L’après midi, quand le soleil a tourné, la lumière s’estompe, la toile s’assombrit et le fleuve prend des allures d’outre tombe. Il devient  le Styx, le fleuve mythique qui emporte dans ses eaux tourmentées l’âme des défunts dans leur voyage vers l’ « Eau de Là ». Le fleuve relie ou sépare le monde de la vie et le royaume d’Hadès- Pluton.

Avez-vous remarqué au premier plan à droite ? Fondue dans le vert plus profond du feuillage une baigneuse à la Renoir vue de dos, ou bien une sirène amphibie qui se cache dans l’arbre.
Changez votre regard et vous verrez la nymphe entrer ou sortir de son antre pour accompagner la barque d’une âme en partance dans le bleu ouaté des limbes.



Des êtres se cachent parfois  à votre insu dans l’ombre verte d’un tableau, en seraient- ils l’âme vivante ? 

Le fleuve du matin est mâle, solaire et conquérant, mais son nom Loire est femelle, l’eau fœtale et l’eau lustrale. Naissance et  mort, vie et transformation. Oreille à l’écoute de tous les silences, ceux du dedans et ceux plus inquiets qui soufflent au dehors, en surface.
 La Loire, comme un vaste chant d’Orphée à écouter le soir assis sur la rive. Les divinités des eaux l’emportent sur la mémoire des pierres. Il est bon de leur porter attention, leur rendre hommage, les rendre propices. Un autre regard ouvrirait-il les portes d’un plus vaste royaume accessible par le rêve?


Le bord du fleuve est alors comme un asile, comme un Temple pour écouter les bruits d’un monde plus vaste  qui se révèle dans son mystère lorsque la lumière du monde bruyant s’en est allé.

 « Se peut-il que je sois réel, que je sois en vie et que la mort vienne un jour à coup sûr ?
La mort,  une autre façon d’explorer la Vie ! »
 
  écrit Sylvie Germain dans  « Le monde sans vous »

« Dernier paysage d’automne avant l’hiver » 


Une toile voyageuse, autonome qui a pris son indépendance, a lâché son créateur pour aller se faire admirer par d’autres yeux sous d’autres cieux.
  
Texte, Marie Pierre Bayle, le 5 juillet 2016.

1 commentaire:

  1. Merci à Marie-Pierre pour ce beau texte. C'est bien de lâcher prise quand on terminé un tableau.Désormais il appartient à qui le regarde. Et quand le regard est inspiré c'est une recréation.
    Jean

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