lundi 23 janvier 2017

PEINDRE L'EAU AVEC DE L'EAU

Rêverie océanique - Peindre l’eau avec de l’eau.

A travers ses aquarelles, Eliane nous entraîne  dans une  rêverie océanique. 
Vagues de lumière sur les rochers, hommage aux éléments de la nature. Aucune contrainte dans la forme, libre, aérienne et sauvage. Une pureté originelle, une beauté immuable depuis l’origine. 

Eliane met d’abord de l’eau sur le papier et pose ensuite  les couleurs humide sur humide. Elle affectionne le Bleu. Le Bleu est partout, avec toutes les nuances sans cesse changeantes qui font jouer les couleurs humides entre elles. Les gouttes de lumière et d’eau, une eau d’automne océanique aux teintes ocre jaune doré. Invitation à courir, plonger, sauter dans les vagues des vacances. Effervescence de la vie et de la lumière dans son jaillissement incessant, Eliane joue allègrement avec nos émotions.


La descente. 

Une nuit noire et stagnante, le ciel est bleu mais levez le nez et regardez-le en face. Vous serez entraînés dans une chute bleu noir plus infinie que l’océan. 

Des souvenirs de vacances, l’eau des étés sur les rochers où se baigner nus, à ramasser les coquillages. Côtes d’Armor, Cap Fréhel, l’île du Bréhat. Les souvenirs d’Eliane affluent : la longère bretonne que le couple a louée cet été là, en 2009. Nuit d’été lumineuse et sereine et les grandes tempêtes d’automne puis la nuit de Toussaint obscure et mortifère. Ils devaient retourner en Bretagne si…

L’eau se referme sur elle-même pour absorber la vie, la faire macérer dans les tréfonds obscurs.
Le bateau patrouilleur au museau de requin sort à la rescousse des bateaux en péril.
On sent que la mort rôde, cette chienne dévorante et rapace que les marins craignent et respectent. Beauté amère des côtes sauvages et inhospitalières.
La nuit s’étale sur les choses. Aller de l’avant, aller loin, mais aller loin c’est Revenir. 


Trois semaines sur un voilier. Traversée de la Manche, été 2002 .

C’est Catherine qui raconte.
Pleine lune, pas de vent, pas de mer, mer calme, force 3.
Nous naviguons  sur un voilier de dix mètres. Partis de la Trinité sur mer, avons longé la côte bretonne, passé la pointe du Raz, pour traverser la Manche. Nous faisons des quarts de nuit, trois qui dorment et un qui barre sur le pont. C’est mon tour, je fais le quart du matin de 4h à 7h. Nous avançons à six nœuds, douze km/heure. J’ai comme objectif de tenir le cap nord-nord ouest, cap 340. Matin clair, une belle lumière, et la mer toujours calme. Solitude à la barre. Des instants propices à la contemplation. 


Là-bas, de grandes tours flottent sur les vagues. Je ne comprends pas ce que font ces tours sur l’eau. En me rapprochant, c’est une plate forme pétrolière très haute flottant en transit vers le nord, avec deux remorqueurs à l’avant et un à l’arrière. La traversée de la Manche ne manque pas de rencontres surprenantes et d’émotions fortes.

 Pendant quinze jours, nous avons sillonné la côte sud anglaise jusqu’aux Scilly le chapelet d’îles à la pointe sud ouest de l’Angleterre. 


 Vacances terminées… Le retour ! 

Nous sommes au mouillage à Sainte Marie, fiers d’être à côté de Pen-Duick 6, le bateau d’Eric Tabarly. Depuis une semaine la météo marine annonce une tempête. Chaque jour nous reportons notre retour, mais il y a urgence, tous les quatre nous reprenons le travail dès lundi. Pour plus de sécurité, nous avons calculé qu’il nous fallait passer de jour le fameux  rail d’Ouessant. La circulation maritime y est intense, pétroliers, porte-containers, tous les géants de la mer transitent par ce passage. C’est en quelque sorte l’autoroute des bateaux. Le traverser est aussi dangereux que franchir une véritable autoroute.
Au moment où nous quittons le chenal à vingt heures, Marie-Pierre Planchon annonce :
« Avis de grand frais sur mer d’Iroise ».


Tandis que Pen-Duick 6 décide de passer au large, nous décidons de mettre le cap sur Ouessant, la route la plus directe pour rentrer.
Le vent monte régulièrement, la mer s’est creusée et nous nous retrouvons avec un courant de travers très fort à l’endroit où le rail d’Ouessant qui suit la côte fait un coude dangereux. Sous la tempête, le voilier va bien plus vite que prévu et c’est en pleine nuit que nous abordons le coude du rail, là où les gros bateaux rentrent dans la Manche.   

J’ai passé mon harnais sous ma veste de quart à Laurent qui est aux commandes.
Soudain, dans l’obscurité, à côté de moi, par le hublot, un mur. Un immeuble bouche tout l’horizon, comme sur l’affiche ancienne vantant le bateau transatlantique. Notre voilier tout petit au pied d’un géant qui va l’écraser, sans rien voir. Je mets la tête dehors,  je vois l’étrave. 


Jean Mi dit : « Nous allons tous couler ». 
Nous entendons l’hélice du mastodonte tout proche.
- L’hélice va nous aspirer  dit Jean Mi.
- Non la vague d’étrave va nous sortir lance Laurent.

Impossible de faire aucune manœuvre, le bateau vient sur nous. On a sorti la balise Argos, on a tiré une fusée éclairante, celle que l’on tire quand on coule.

-  Je vais sombrer en botte et en pull. Tant pis c’est fini, dommage je n’aurai pas d’enfant.

Les pensées affluent. Impossible de faire quoi que ce soit. Trop tard. Immobiles tous les quatre. Figés, comme une éternité.
Avant que nous puissions faire quoi que ce soit, la masse énorme glisse, les minutes sont longues. Rien. Personne ne nous a vus. Personne sur la passerelle, ni sur le pont du navire. La masse énorme s’éloigne et disparaît de notre champ de vision.

Laurent est mort de trouille, il a cru qu’il ne reverrait pas ses enfants.
C’est Jean Mi qui prend la barre :


-Il faut qu’on se mette au mouillage au plus vite. Nous avons réussi à aller au Stiff et sommes amarrés à côté de « l’Abeille Flandres » qui ne se met au mouillage à Ouessant qu’en prévision de grosse tempête. Arrivés au mouillage, j’appelle le Cross, le service de navigation pour leur signaler l’incident. Les pieds bien ancrés sur la terre ferme, nous nous sommes tous mis à pleurer.
Je ne traverserai plus jamais la Manche sur un voilier. Aucun des quatre n’a retraversé la Manche.
Nous venions de croiser la route du « Grimaldi Lines », le plus grand porte camion du monde, un immeuble de dix étages.
C’est très différent d’un accident de voiture. C’est tellement lent que tu as le temps de voir la mort arriver. Inéluctable ! Le temps qu’il passe. Deux cent quatre vingt mètres de long.

PS : C’est Catherine, fille de Marie Pierre qui raconte. 

Aquarelles :
Texte : Marie-Pierre Bayle.
 

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