mardi 17 septembre 2019

MICHEL VALHORGUES - LE PAYS-SAGE


Là-haut sur nos plateaux courent les prairies et les bois, les ruisseaux serpentent, les rivières se cherchent, les arbres bataillent et les forêts profondes sont habitées de sortilèges.

Un souffle de fin d'été et de vent en partance, un ciel noirci d'orages à venir, le troupeau des nuages blanchis d'espoir nous emmène vers le sud à rebours. 


Michel Vallorgues nous embarque en rêve dans le Haut Pays. A contempler ses paysages à la craie pastel nous marchons en couleur entre Forez et Livradois. Les landes, les tourbières, les ruisseaux sur les plateaux. Nous sommes chez nous sur la petite montagne. L'Auvergne n'est pas loin.

La craie est lumineuse, sensuelle, avec une grande richesse de traits et de textures. Pureté et vibration des couleurs. Le pastel n'a besoin d'aucun fixatif. Fleur de peinture, fleur de pastel. 



«Ciel nuage»: des couleurs contrastées pétries d'argile chaude et de tourbières fécondes. Une composition épurée presque abstraite: ciel sombre, terres ocre, ligne horizontale avec fil de fer et le mâle piquet qui arrête le regard et verticalise l'ensemble. Une peinture sobre, une ambiance à la fois poétique et dramatique particulièrement réussie, à la fois saisissante et inspirante. 



Je vous invite à garder sous les yeux les paysages de Michel pour écouter Henri Pourrat dans ses "Contes et légendes".

Voici :

Ils eurent tous un soir à passer la montagne, tous en bandes avec des sacs et des bâtons. Ils s'étaient mis à un chemin qui monte. C'était dans la forêt sauvage, forêts de loups garous et de chasses volantes. L'endroit était pendant, et sombre et solitaire. Et même en plein midi, entre les roches usées et les grosses racines, l'air y semblait obscur sous les basses branches des sapins.
L'homme frissonnait de toute la peau de sa figure et tâchait de presser le pas
-«Pas un de vous, a-t-il fini par faire, ne voit donc ce quelqu'un qui est là et qui nous accompagne?

De la main il le leur montrait.

  " Comment, cet homme, vous ne le voyez pas? Moi je le vois tout de noir vêtu et les boutons couleur de flamme».
Eux ils passaient les yeux partout, pour ne voir, près de l'eau qui tombait du flanc de la montagne, que quelque pied de varaire noir, ou encore accroché à la roche quelque alisier caduc avec ses alises rouges. D' homme point. Mais la peur commençait de les prendre, une peur qui vous vient dessus dans ces grands bois comme un air froid dans un caveau, et vous n'y pouvez pas grand chose.

On est là dans cet air, on marche, on va quand même ; mais c'est la tête vide, pleine d'un vent qui tourne. A chaque jambe on se sent deux genoux... Tous ils éprouvaient que quelqu'un était là, quelqu'un qui restait invisible comme dans ses maisons hantées où l'on ne peut pas durer, parce qu'on y sent une inquiétude..."

Comment ne pas penser aux fables de La Fontaine devant le «Pont» et Arbre mort.




La douceur romancée des couleurs. Un Pays-sage de fable, de chêne et de roseau, de loup et d'agneau, de la raison du plus fort...

Voici une histoire de Héron extraite du "Nouveau dictionnaire de l'impossible" de Van Cauwelart.

"En 1958 l'ornithologue Robert Powell décrit le comportement d'un héron apprivoisé qui appâtait les poissons en lançant à la surface de l'eau les miettes du pain dont on le nourrissait.
En 1977 un autre héron, sauvage celui-ci, fit encore plus fort: on le vit attraper les insectes et au lieu de les manger, les déposer à la surface de l'eau, dans une zone claire et tranquille où grâce à ces appâts, il attrapa douze poissons en vingt-cinq minutes.

Un matin au bord d'un étang, il s'agissait d'un bébé héron à qui son père apprenait à jeter à l'eau des vers de terre. Tous deux restaient immobiles fixant la surface comme des pêcheurs qui attendaient que ça morde. En fait ils se servaient dans une petite boîte d'asticots oubliée par un pêcheur. Le héron après avoir observé le bonhomme avec ses asticots a décidé d'initier son rejeton. Le savant de conclure que l'oiseau était capable de quatre opérations mentales successives: déduction, extrapolation, imitation, transmission. Voila qui n'aurait pas déplu à notre célèbre fabuliste."


...Je laisse la parole à Janine Tissot dans son livre "L'essence du bonheur". 


"...l'eau bavarde de tous les ruisseaux. Ils couraient en liberté, aux alentours des moulins et sur les pentes des pâturages. Ils nous permettaient bien des jeux et se laissaient domestiquer facilement. Pour irriguer les prés pentus, des biefs distribuaient l'eau à flanc de coteau; il s'en échappait des ruisselets que la pente rude rendait vivaces et chantants.
...avant l'orage quand le ciel se grisait comme un ventre de souris, la rivière s'assombrissait elle aussi et sous les brusques rafales de vent semblait éclabousser davantage".


" Le Vizézy arrivait en cascade au-dessus du moulin à farine. L'eau était apprivoisée par des biefs, des écluses et des conduites en bois cerclées de métal comme les tonneaux, pour conduire l'eau au moulin à farine, à la scierie, à l'huilerie, le tréd'iol ainsi qu'à la turbine pour produire l’électricité dans l'habitation ". 


 

Ponts et Pont du diable, les légendes abondent, en voici une:

Voilà de cela cinq cents ans, une ville de chaque côté d'une rivière, il lui faut bien un pont. Mais pas de maçons pour en venir à bout.L'ouvrage s'effondrait ou la crue emportait les arches.
Le magistrat découragé et tellement pressé de satisfaire son monde: «Je me donnerai volontiers au diable s'il était en mesure de nous construire ce pont». Du milieu des flammes s'élève une forme.
Quelqu'un qui dit : demain je le bâtirai votre pont, avant minuit!
- Que demandez-vous pour votre peine?
Ce que vous avez dit: - «Je me donnerai volontiers».
Écoutez messire, je mène ici la police et la politique, les propos d'un personnage officiel ne sauraient être pris au pied de la lettre.
- Soit, signons sur ce bout de parchemin. Je me contenterai du premier qui passera ce pont et l'Autre disparaît. 

A qui viens-tu de t'engager mon pauvre mari! : tu as donné au diable le premier qui passera le pont ?

- Ce sera peut-être qu'un ami politique, un de nos messieurs du conseil... et Toi dit-elle tu vas le jeter dans les griffes du diable! mais c'est affreux! Pense un peu mon mari!.

Le papier est signé, il n'y a plus à y revenir.

Malgré les vents et les averses et la nuit tous étaient là pressés au bord de la rivière. Stupéfaits de la promptitude et impatients du délai. S'interpellant, se bousculant. C'était à qui pourrait le premier passer le pont.
Le magistrat ne s'était point montré de la journée, demeuré dans sa salle basse, sans manger ni boire.
Sa femme qui le suivait des yeux est allé au bahut, a repris le papier, l'a relu, est devenue toute rouge. Sais-tu mon mari ? Le premier qui passera, et elle lui parle à l'oreille...

Aux approches de minuit le pont est presque fini, une seule pierre à poser. 

A l'autre bout du pont, du côté de la ville, le magistrat tient un grand sac où remue on ne sait quoi et sa grosse dame en tient un autre pareillement. Ensemble ils ont ouverts leur sac, un chat noir a jailli et comme un trait a enfilé le pont car de l'autre sac un chien a bondi, lancé à sa poursuite. Le diable crachant de rage a vu qu'il était joué, on dit bien chat, cousin du diable! 
 
Les gens ont eu leur pont, l'ont eu à bon marché. Mais ils n'ont jamais pu le finir.

Au pont du diable, si bien bâti soit-il et de main d'ouvrier, manque toujours une pierre! 





Blancheur virginale. De loin, là-bas, la croix veille sur le pèlerin.
En toute circonstance, il est toujours possible de faire comme l'ours à la fin de l'hiver:
Sortir de la caverne et se tourner vers le soleil.

Pour clore, écoutons encore Henri Pourrat nous dire:

" Il est large notre pays, aussi large que les deux bras,
Plus large encore qu'on ne dit, car elle est partout la montagne.
Partout où l'herbe du matin palpite et brille au vent sauvage,
Partout où court le conte fol, où passe un parfum de campagne,
Où l'homme d'aplomb sur ses pieds travaille d'un cœur montagnard,
Et, parce que la feuille est verte et qu'il est devant tant d'espace,
Rit à la vie, sous le soleil de Dieu ". 


Le peintre de paysage serait-il lui aussi le cœur content, béni des dieux ?


Pastels de Michel VALHORGUES
 Texte de Marie-Pierre BAYLE

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